jeudi 24 mai 2012

En attendant le "mercredi de la rue Férou" du 27 juin 2012...

Le mercredi 27 juin 2012, nous rendrons hommage à Vladimir Dimitrijevic, décédé accidentellement le 28 juin 2011.

Une pannychide sera célébrée à l'église du Simplon (23 rue du Simplon 75018) à 17heures précises.

Nous nous retrouverons ensuite à la librairie L'Age d'Homme (5 rue Férou 75006 PARIS)
pour
un "mercredi de la rue Férou" consacré à une vente aux enchères
de livres rares (bibliophilie) de L'Age d'Homme
à partir de 18h 30
Liste en cours

--> Venez chercher la lettre aux Amis de L'Age d'Homme de juin 2012 avec la Tribune libre du Pr Gérard Genot. Voir ci-dessous :

Tribune libre des Amis de L’Age d’Homme
Gérard Genot, professeur d’université, traducteur, romancier, poète. Dernière traduction parue : Antonio Fogazzaro, Malombra. Dernier roman paru : La Frontière.



ONAGRE ET OUISTITI



Le Diseur de Phébus a fait la connaissance des mots d’une manière quelque peu singulière, presque sans inter-médiaire, dans le dictionnaire – le Petit Larousse –, qu’il feuilletait inlassablement, c’était avec le Catalogue de la Manufacture son seul livre illustré, où par exemple en face de l’image d’une sorte d’âne on lisait ONAGRE, en face de ce qui ressemblait à une espèce de chat à longue queue touffue et rayée, OUISTITI (un singe, en fait), c’était déjà quelque chose, mais juste avant ou juste après, il y avait l’image d’un autre « onagre », c’était « une sorte de baliste » (on ira voir après), et, entourant l’ouistiti, le verbe OUÏR, « (N’est usité qu’à l’inf. prés., au participe passé ouï, e et aux temps composés.) Entendre … » et OUKASE, v. Ukase, on irait voir.

Comme à cette époque-là il n’allait pas à l’école, aucun instituteur n’était là pour lui dire qu’il n’aurait jamais l’occasion de voir un onagre d’aucune sorte, bourricot sauvage ou machine de guerre, ni d’en parler, et donc qu’il pouvait oublier ce mot, ou pour concéder en riant que s’il faisait le singe on pourrait bien le traiter d’ouistiti, ou pour couper court à oukase en disant que c’était un mot russe, pour dire un décret, est-ce que tu sais ce que c’est qu’un décret, il le savait, du bon – du mauvais – côté des impri-més périmés que lui donnait son père pour dessiner, il y avait parfois Décr. du .. juill. 19.., il avait posé la question et on lui avait expliqué.

Point d’instituteur, donc, mais sa mère, qui avait son Certificat d’Études, lui avait dit au contraire, onagre, je savais que c’était un âne sauvage, mais j’apprends comme toi que c’était aussi un nom de machine de guerre, je crois qu’une baliste était un engin pour lancer des pierres, on va regarder, et le futur Diseur de Phébus, de voir l’omnisciente reconnaître qu’elle pouvait encore appren-dre quelque chose, et en sa compagnie, en même temps que lui, avait senti sa poitrine se dilater, il avait pris une grande inspiration et dit impulsivement, sans savoir com-ment cela lui était venu, Maman, tu sais, quand je serai grand, je veux être instituteur, jusqu’alors il voulait devenir douanier à cheval, son père, apprenant la nouvelle, ap-prouva, bientôt on n’utilisera plus de chevaux, tu as rai-son, c’est ainsi que se décident les vocations, et que l’enfant devint, en son temps, instituteur, ou tout comme, puis, lorsqu’il n’eut rien de mieux à faire, Diseur de Phébus.

Voilà pourquoi il n’a jamais mis au rencart les onagres, les ouistitis ni les oukases, pourquoi il lui arrive d’ouïr au lieu d’entendre, pourquoi et comment il a appris à distin-guer les balistes (qui lançaient des pierres) des catapultes (qui lançaient plutôt des traits) et s’obstine à dire baliste quand tout le monde, je m’entends, dit catapulte pour dire la même chose, passons.

Le diseur de Phébus/Gérard Genot