dimanche 8 novembre 2009

En attendant le 25 novembre 2009. "Le domaine italien à l'Âge d'Homme : de Dante à Corti"

Parmi les nouveautés présentées le mercredi 25 novembre 2009, Un homme fini de Giovani Papini, autobiographie, traduction de Gérard Genot, préface de François Livi.
Pour les lecteurs du blog, un extrait de la préface inédite de François Livi (parution le 23/11/2009) :
Préface
"Est-il décent d’écrire son autobiographie à l’âge de trente ans ? C’est précisément à cet âge, en 1911, que Giovanni Papini commence à rédiger Un homme fini. Achevé en 1912, ce livre singulier paraît à Florence au début de l’année suivante. Rappelons qu’Augustin d’Hippone commence à écrire ses Confessions en 397, à l’âge de quarante-trois ans et qu’en 1809, lorsqu’il s’attelle à ses Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand a tout juste quarante ans. Certes, il n’est pas requis d’avoir franchi les quarantièmes rugissants ou de s’en approcher pour s’adonner à l’écriture du moi, mais on relèvera aisément que dans la vie de Papini avant 1913 il n’y a pas eu d’événement comparable à la conversion retentissante au christianisme, qui marque, en 386, un nouveau départ dans la vie d’Augustin. Et l’on conviendra que la Florence, somme toute paisible, de la fin du XIXe siècle et du début du XXe – où selon Papini, « les élans confus vers une vie héroïque, digne, poétique » sont « bientôt niés et noyés dans la quotidienneté maudite d’une vie réduite, provinciale, étriquée et mortifiante » – est loin d’avoir connu les bouleversements politiques de la France à l’époque de la Révolution et de l’épopée napoléonienne, dont Chateaubriand a été le témoin attentif pour les avoir vécus.
On objectera qu’en 1913 Papini est loin d’être un inconnu. En effet il occupe une place de choix dans la culture italienne du début du XXe siècle et son nom, son œuvre, ont franchi les Alpes. Écrivain iconoclaste, ennemi juré du positivisme, de la culture officielle et académique, polémiste féroce, antiphilosophe refusant les systèmes établis, narrateur, critique, essayiste de talent, Papini a déjà publié plusieurs d’ouvrages – entre autres Le crépuscule des philosophes (1906), Le tragique quotidien (1906), L’autre moitié (1911), Des mots et du sang (1912) – et d’innombrables articles. Peut-on oublier son infatigable activité d’animateur culturel ? Papini fonde avec Giuseppe Prezzolini – à qui est dédié le chapitre « Lui » d’Un homme fini – une importante revue d’idées, Leonardo (1903-1907), plus tard, avec Giovanni Amendola, L’Anima (1911) ; il collabore à La Voce et à bien d’autres revues, participe aux batailles pour ouvrir la culture italienne aux grands courants européens. Aux yeux de la jeune génération, il est l’icône de la modernité.
Faut-il considérer pour autant Un homme fini est-il comme une autobiographie culturelle ? Et si tel était le cas, ce projet peut-il justifier à lui seul le livre ? Sans doute Un homme fini relève-t-il en partie de ce genre, mais ses enjeux et les ambitions de Papini vont bien au-delà. On ne saurait, autrement, d’expliquer le succès de ce livre qui a été tenu, à juste titre, pour le miroir d’une génération.

Papini commence par bousculer les bonnes habitudes de l’écriture autobiographique. Un homme fini est organisé comme une symphonie, comportant six mouvements, au lieu des quatre traditionnels (Symphonie intérieure en quatre temps était d’ailleurs l’une des formules auxquelles Papini avait songé pour définir ce livre) : andante, appassionato, tempestoso, solenne, lentissimo, allegretto. Les cinquante chapitres, de longueur variable, sont distribués harmonieusement dans les six sections du livre : cinq d’entre elles en comportent sept, tandis que lentissimo en a quinze. Que littérature et musique aient partie liée, ne saurait étonner, surtout à une époque où le rêve wagnérien d’une « œuvre d’art totale » ne s’est pas encore estompé. Mais la plupart des titres des chapitres sont, pour rester dans le domaine musical, asémantiques : ils ne donnent aucune indication précise au lecteur, à qui il reviendra d’en saisir la signification et la cohérence lorsqu’il aura compris la logique et les leitmotive de cette étrange symphonie. D’ailleurs celle-ci ne suit que de façon allusive la diachronie, puisqu’elle privilégie une histoire qui se joue des dates.
Le lecteur ne trouvera pas dans Un homme fini de repères chronologiques précis. Des dates, il n’y en a que trois dans tout le livre : celle de la parution du premier numéro de la revue Leonardo : « C’était le quatre janvier 1903 » note Papini ; et, dans l’un des derniers chapitres du livre, « Retour à la terre », celle de sa date de naissance : l’auteur est « un homme né en Toscane en 1881 ». Étrange affirmation, dont nous verrons plus loin la signification. Aussitôt après, l’indication que l’auteur est en train d’écrire ce passage en 1912. Quant au début du premier chapitre, « Un demi-portrait », rien de plus éloigné d’un hypothétique « je suis né… ». Qu’on en juge sur pièce : « Je n’ai jamais été enfant. Je n’ai pas eu d’enfance. Chaudes et blondes journées d’ivresse enfantine ; longues sérénités de l’innocence ; surprises de la découverte quotidienne de l’univers : que sont-elles donc ? Je ne les connais pas ou ne m’en souviens pas. Je les ai apprises par les livres, après ; je les devine, maintenant, chez les enfants que je vois ; je les ai ressenties et éprouvées pour la première fois en moi, mes vingt ans révolus, pendant quelques heureux instants d’armistice ou d’abandon. L’enfance est amour, elle est joie, elle est insouciance et moi je me vois dans le passé, toujours, séparé, triste, méditant. »
Coquetterie ? Autocompassion ? Provocation ? Sans doute. En réalité, une logique profonde sous-tend ces affirmations. « Je n’ai pas eu d’enfance » : l’enfance est synonyme de dépendance, d’abord de ses parents. Papini ferait-il sienne l’exclamation « Familles ! je vous hais !… » de Gide ? Point n’est besoin d’aller si loin. Mais pour l’homme qui aspire à devenir un surhomme, sinon Dieu lui-même – telle est l’ambition d’Un homme fini – il convient de fonder son ambition de grandeur sur une sorte d’autosuffisance absolue, sur une naissance à soi par soi-même. De ce fait le narrateur assigne à son père le rôle, somme toute modeste, de l’avoir initié indirectement au monde des livres et à cet autre grand livre qu’est la nature, en l’occurrence le paysage toscan.
La véritable naissance sera donc, pour Papini, la naissance à la lecture ; la prime enfance en est de ce fait exclue : Papini enfant naît au moment où la lecture lui permet de pénétrer dans le monde des livres, des idées, de la littérature. La naissance biologique n’a que fort peu d’importance ; les années de l’enfance qui précèdent l’accès à la lecture baignent dans l’insignifiance. Les dates peuvent donc être allégrement omises, dès lors qu’elles baliseraient le néant : « le vert paradis des amours enfantines » n’existe pas et Papini n’a aucunement l’intention de céder aux charmes de cet éden fictif. Tout au plus le narrateur peut-il s’apitoyer de loin en loin sur son moi en inventant, par l’écriture, des images d’un monde oublié parce que sans intérêt. S’il faut à tout prix évoquer l’enfance et l’adolescence, c’est essentiellement par l’accès aux livres – d’abord ceux de la petite bibliothèque paternelle, puis ceux des bibliothèques de la ville – que Papini le fera. La croissance de l’enfant et de l’adolescent est mesurée à l’aune de ses progrès dans la fréquentation de ce monde. Tel est le but du deuxième chapitre, « Une centaine de livres », et du troisième, « Un million de livres ».
Les émois de jeune Papini adolescent sont provoqués par les livres, par le désir d’être admis, alors que son âge ne le lui permet pas, dans les grandes bibliothèques, où il pourra emprunter librement et gratuitement des ouvrages. La bibliothèque est à la fois le paradis et le lieu interdit, dont un ange maléfique défend l’entrée : « Il y avait pourtant une difficulté : pour entrer dans ces paradis il fallait avoir au moins seize ans. J’en avais douze ou treize, mais j’étais presque trop grand pour mon âge. Un matin de juillet, je tentai ma chance. Je gravis un perron, qui me parut large et solennel, tout tremblant. Après deux ou trois minutes d’hésitation, le cœur battant la chamade, je me faufilai dans le bureau des communications, remplis tant bien que mal ma fiche et la présentai avec l’air embarrassé et méfiant de qui se sait en faute. L’employé – je me le rappelle encore, maudit soit-il : un nabot avec une grosse bedaine, deux yeux bleu pâle de poisson mort et un pli malveillant à la commissure des lèvres – me toisa d’un air de commisération et, de son odieuse voix traînante me demanda : “Excusez-moi, mais quel âge avez-vous ?” Je rougis plus de colère que de honte et répondis, me vieillissant de trois ans : “Quinze ans.” “Ce n’est pas assez. Je regrette. Lisez le règlement. Revenez dans un an”. » (« Un million de livres »)
... à suivre

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