jeudi 19 novembre 2009

En attendant le 25 novembre 2009. "Le domaine italien à l'Âge d'Homme : de Dante à Corti"


En avant-première, un extrait de la préface de François Livi du livre à paraître de Giovanni Papini, Concerto fantastique (nouvelles) :



Préface
"Giovanni Papini (1881-1956) nouvelliste n’est pas un inconnu en France. Il y a un peu plus de cent ans, le 15 janvier 1907, « La dernière visite du Gentilhomme Malade » paraissait dans La Revue. La même année le Mercure de France publiait, dans sa livraison du 1er novembre 1907, Trois nouvelles de l’écrivain italien, traduites par Claire Luchaire-Dauriac : « Le démon m’a dit » et « Celui qui ne put pas aimer », tirés du Tragique quotidien (1906) et « Deux images dans un bassin », tirée du Pilote aveugle (1907). Dans Le Démon m’a dit… (1923), une anthologie de nouvelles et essais, Paul-Henri Michel propose au lecteur français quatorze nouvelles. Dans sa Préface au Miroir qui fuit (1975), recueil de dix nouvelles, Jorge Luís Borges dit toute son admiration pour l’écrivain florentin. Cependant Concerto fantastique (1954) vient combler une lacune, car il offre pour la première fois au lecteur français la totalité des nouvelles de Papini, que l’auteur lui-même avait rassemblées, deux ans avant sa mort, dans ce fort volume.
Malgré sa boulimie de travail, ou à cause d’elle – les articles qu’il donne à la presse, les livres qu’il publie, les revues qu’il fonde –, le jeune Papini est habité par l’insatisfaction et le doute. Voici la conclusion d’un long épanchement, dans une lettre datée du 4 mai 1906 et adressée à Giuseppe Prezzolini, l’ami fraternel avec lequel il avait fondé à Florence, trois ans plus tôt, la revue Leonardo : « Désormais la faillite dont nous avons parlé est presque complète pour moi. J’ai publié les deux livres qui représentent à la fois la quintessence de mon activité de critique et de mon imagination. Le Crépuscule des dieux n’a pas obtenu le succès d’irritation que j’espérais, et le Tragique quotidien le succès d’admiration que je craignais, désormais j’ai une position reconnue parmi les jeunes auteurs et les enthousiasmes ne manquent pas. Mais je ne suis pas content – je ne suis pas content ! Je veux faire quelque chose, je veux me fabriquer une vie plus héroïque, je veux crier ce que je n’ai pas dit, je veux imposer ce que j’ai à peine esquissé. Que dois-je donc faire ? Que penser ? Où aller ? J’entrevois de possibles découvertes, des voix à éveiller, des coups qui n’ont pas encore été frappés. Mais où ? Mais quand ? Poète ou philosophe ? Magicien ? Ermite ? Suicide ? Je suis dans une forêt : les voix sont infinies : la fleur bleue ou le sort de l’aigle ? »
Après coup on peut sans doute donner une réponse aux questions que le jeune écrivain florentin formulait avec quelque emphase. Plus que le poète et le philosophe, ou le magicien, c’est assurément le narrateur qui a réussi à saisir les « voix infinies » de la forêt. Sans transformer l’œuvre variée et luxuriante de Papini en un jardin à la française, où régneraient l’ordre, l’harmonie et la symétrie, on peut relever que l’écriture de nouvelles et de récits la traverse de part en part, comme une allée royale. Elle l’accompagne pendant soixante ans, depuis la rédaction du « Problème » (1894), la première nouvelle de Papini, jusqu’à ce Concerto fantastique (1954) que le lecteur a actuellement en main.
Souligner l’importance de Papini nouvelliste signifie affranchir l’écrivain toscan des stéréotypes qui voudraient confiner son œuvre dans les quinze premières années du XXe siècle et en limiter la signification aux expériences des avant-gardes. Ce sont les années de Leonardo (1903-1907), revue d’idées dont la variété des intérêts s’inspire de Léonard de Vinci, et de Lacerba (1913-1915), fer de lance de l’avant-garde futuriste dans les domaines littéraire, artistique et politique. Papini a certainement joué avec brio différents rôles : le polémiste, le critique aux redoutables éreintements, le philosophe iconoclaste qui introduit le pragmatisme en Italie, l’intellectuel insatisfait en quête de nouveautés, le lecteur à la curiosité insatiable. Qu’il soit l’une des figures de proue de la culture italienne du début du XXe siècle, personne ne songe à le contester. Mais son parcours d’intellectuel et de narrateur ne s’arrête pas avec la Grande Guerre ni ne connaît un déclin irréversible, comme on a essayé de le faire accroire, après sa conversion au catholicisme, advenue en 1921. Les livres publiés dans les décennies suivantes – entre autres ses nouvelles – témoignent du contraire.
Les innombrables lectures du jeune Papini privilégient le roman ; le Journal 1899-1902 enregistre cependant la lecture de plusieurs auteurs de nouvelles, parmi lesquels Verga, destiné à devenir, avec D’Annunzio, Capuana, Pirandello et Dostoïevski, un auteur de référence pour Papini dans le domaine narratif.
1906-1914 : fantaisies, épanchements, caprices, divertissements
Les quatre premiers recueils de nouvelles de Papini sont solidement ancrés dans la culture du début du XXe siècle. Indissociables de l’itinéraire philosophique de leur auteur et de ses expériences littéraires, ils nouent des liens explicites ou implicites avec d’autres auteurs. Les treize récits du Tragique quotidien (1906) se fondent souvent sur des schémas quelque peu abstraits, reflets, en cela, de la réflexion du jeune antiphilosophe, plus séduit par les concepts et les paradoxes que par les exigences du genre narratif. Le dialogue ou le monologue dominent dans ces textes plus discursifs que narratifs. Mais le talent de Papini se manifeste, dès ce premier recueil, par son élégante reprise, ou renversement, de figures et de situations topiques – Hamlet, Dom Juan, le pacte avec le démon –, par son habileté à créer, avec une économie extrême de moyens, une atmosphère singulière, au seuil de l’insolite et du fantastique". [...]

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